Le soir venu, nous répétons l’exercice de la veille. Laure a déniché une 2ème robe d’on ne sait où. Je ne sais pas comme elle s’y est pris pour qu’elle ne soit pas froissée. Les femmes ont des secrets qui nous échappent. Aujourd’hui, c’est une robe bohème rouge et gris plutôt courte avec des pompons. Un style Ibiza, je dirais… Mais qu’est-ce que j’en sais… Moi, je suis habillé comme hier, avec ma seconde chemise de sortie. Bleu ciel cette fois-ci.
Nous avons révisé les détails de notre histoire. Elle vit à bord avec moi et nous nous occupons tous les deux des clients. Nous avons décidé de ne pas parler de Marseille pour ne pas inquiéter Castellane. Laure n’y vit que depuis 2 ans et n’a pas encore attrapé l’accent. Alors ça passera.
Les Castellane sont partis dîner il y a un peu plus de 10 minutes. Le plan est de tomber sur eux « par hasard » en choisissant le même restaurant qu’eux, dans l’espoir qu’ils entrent en contact. Pour la suite, on avisera.
Cette fois, j’amarre l’annexe dans la marina à côté de la vieille ville, pas très loin de leur tender.
Ils sont installés au bord de l’eau sous les pins, sur la promenade qui fait le tour de la citadelle. C’est évidemment un restaurant gastronomique. On est loin de la petite taverne traditionnelle. J’espère que notre plan va fonctionner et qu’ils vont nous convier à leur table. Et surtout nous inviter, car les prix sont dignes de Saint-Tropez…
Alors que nous attendons à l’entrée de la terrasse que l’on nous attribue une table, je vois que Mattéo me reconnaît et attire l’attention de sa mère qui nous tourne le dos. Elle se retourne et se lève rapidement.
— Ah, je suis contente de vous voir. J’avais peur que vous partiez avant que nous n’ayons l’occasion de vous remercier pour votre geste tout à l’heure. Et de faire des présentations en bonne et due forme ! Je suis Laëtitia Castellane et voici mon mari Marco. Et vous connaissez déjà Mattéo.
Castellane se lève à son tour. Il arbore un grand sourire. Manifestement, il est au courant des péripéties de ce matin. Il me serre la main chaleureusement. Je leur présente Laure et je le surprends à lui lancer un regard appréciateur.
— Mattéo m’a raconté ce qui s’était passé. Merci d’être intervenu.
— Ce n’est rien. C’est un peu une déformation professionnelle. Avant d’être skipper, j’étais moniteur de voile pour des jeunes.
— Ah ! Mais alors, il faut que vous donniez quelques cours à Mattéo ! Comme ça, il pourra se redresser tout seul s’il chavire à nouveau. Moi, je suis plutôt moteur, alors je ne peux pas trop l’aider.
Il nous propose de nous joindre à eux, ce qui est exactement ce que nous espérions. Ils n’ont pas encore commandé, alors le timing est parfait. Pendant tout le repas, le vin coule à flot et l’ambiance est plutôt bonne. On est toujours content de retrouver des compatriotes en vacances… Laure est assise en face de Laëtitia, qui semble ravie d’avoir une femme avec qui échanger. Je suis installé face à Castellane, qui parle peu de lui et préfère m’inonder de questions sur la vie de skipper.
Il est resté assez flou sur la durée de leur séjour – quelques jours. Ce n’est pas encore sûr – mais nous convenons que je coache Mattéo demain matin, Nous déjeunerons tous à bord de leur yacht dans la foulée.
En rentrant à bord, Laure est déjà plus optimiste. Ça a bien matché avec Laëtitia et elle pense qu’elle pourra ainsi être plus proche de Castellane. Elles ont convenu de faire du shopping ensemble pendant que je donnerai mon cours à Mattéo.
De mon côté, je suis content qu’elle soit satisfaite de moi et qu’elle apprécie mon engagement. J’espère qu’elle va finir par se rendre compte de mes efforts et m’en être reconnaissante. Je trouve que jusqu’à présent, elle ne joue pas son rôle d’épouse avec suffisamment de conviction.
En buvant un dernier verre dans l’obscurité du cockpit tout en gardant un œil sur ce qui se passe sur le yacht, je lui laisse entendre qu’il va bientôt falloir que je retourne à Split pour ma prochaine croisière. Le message a l’air de passer puisque 2 minutes plus tard, après qu’elle soit allé reposer les jumelles dans le carré, elle s’assied à mes côtés et se serre contre moi en disant qu’il fait frais ce soir. L’air de rien, je pose ma main sur sa cuisse. Mais c’est vrai, tu es gelée. Il faut dire que sa robe est plutôt courte et qu’elle ne porte pas grand-chose dessous. Elle me prend la main. Difficile à interpréter. Ça pourrait aussi bien être pour la retirer de sa cuisse que pour me montrer son affection.
— On forme un beau couple, non ?
Elle pose la tête sur mon épaule. Je retiens mon souffle. Est-ce maintenant que tout bascule ? Entre sa robe d’hier et celle d’aujourd’hui, sous lesquelles je ne suis même pas sûr qu’elle ait pris la peine d’enfiler une culotte et qui ne laissent guère de place à l’imagination, je suis chaud bouillant.
Je nous imagine déjà vivant tous les deux sur le bateau. Nus ou presque. Moi qui plonge en apnée pêcher des poissons qu’elle apprête ensuite à la perfection avant une sieste coquine. Elle qui m’assiste dans les manœuvres qu’elle exécute à la perfection sans qu’aucune instruction ne soit nécessaire. Faisant l’amour de façon torride des journées et des nuits entières. La symbiose parfaite.
Mais elle me ramène vite sur Terre.
— Tu ne vas pas me laisser tomber au milieu de l’enquête, non ? Après tout ce qui s’est passé… On doit bien ça à Eric. Sinon, il serait mort pour rien.
Alors non seulement elle a plombé l’ambiance en évoquant Eric, mais en plus elle a joué un atout imparable si je ne veux pas passer pour un salaud.
Je tente de rattraper le coup.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mais il faut aussi avoir un plan. On ne va tout de même pas les suivre d’île en île… Maintenant qu’ils nous connaissent, on ne va pas pouvoir leur coller le train incognito. Si on ne trouve rien rapidement, il va falloir abandonner…
Ça ne lui plait visiblement pas mais, après quelques minutes de silence, elle finit par se décider.
— C’est vrai. Alors, on arrête la prudence et les planques à distance. Il faut y aller franco et jouer les infiltrés. Il faut qu’on le chope la main dans le sac.
Ce n’est pas ce que j’avais en tête. Moi qui ne dors pas de la nuit quand je regarde seul un film d’horreur. Et je n’aime pas du tout l’air exalté du martyr sur le point de se faire exploser qu’elle avait sur le visage en prononçant cette tirade.
— Oui mais tu sais que moi, ce n’est pas mon métier. Je ne suis pas entraîné. Je ne sais même pas ce que vous cherchez exactement. Je ne suis qu’un pauvre civil qui se trouve par hasard pris entre 2 feux.
Elle pose la main sur ma cuisse et son bras frôle mon entrejambe.
— Mais ne te sous-estime pas ! Tu as été formidable avec Mattéo et Castellane te mange dans la main. Tu m’as vraiment impressionnée.
Elle se lève et se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres.
— Allez ! Allons nous coucher. Demain, nous avons du pain sur la planche.
Et elle me tire par la main.