Julie et Jerem sont partis pour LA discothèque de l’île – le 54 Dreamy Nights – dans un grand nuage de parfum, d’after-shave et de paillettes.

J’ai bien cru que Julie allait m’esquinter le pont avec ses escarpins à haut talons, mais j’ai pu la convaincre à temps qu’il était plus prudent d’attendre d’avoir passé la passerelle avant de les enfiler. Jouant de leur statut de demi-célébrités et contre promesse de taguer @54dreamynights sur leurs posts, ils ont réussi à obtenir une table dans le carré VIP et sont très impatients de s’exhiber devant le photocall.

En revanche, je ne suis pas sûr que Julie aille s’encanailler sur le dance-floor, car sa tenue ne doit pas trop supporter ce genre d’agitation frénétique. Sa robe dorée a l’air plutôt fragile et arachnéenne. Déjà qu’elle est tellement moulante qu’on dirait qu’elle est cousue sur elle, elle n’a en plus vraiment pas dû coûter cher en tissu. C’est un truc à la structure compliquée avec des fentes et des bretelles dans tous les sens et je me demande comment elle a réussi à la mettre correctement. La robe semble plus adaptée à un shooting photo en atmosphère contrôlée qu’à la danse déchainée sur une piste bondée. Sans compter les inévitables mains baladeuses auxquelles elle risque d’être confrontée dans l’obscurité. Je ne pense pas que Julie pourra s’asseoir sans en faire sauter les coutures, mais comme on dit, il faut souffrir pour être belle.

Ceci dit, il faut bien avouer que le résultat est assez spectaculaire. Le tissu est presque totalement transparent et, à part un mini string qui préserve le minimum de décence, c’est comme si elle était complètement nue. J’essaie de rester impassible, mais j’ai de la peine à détourner les yeux de sa poitrine qui bouge librement sous l’étoffe. Déjà qu’à l’abri de la brise marine, il fait une chaleur de bête dans le port, mais là, j’ai un coup de chaud.

Jerem a lui aussi fait un effort louable, avec un pantalon noir et une chemise blanche sans col en lin, mais à côté d’elle, il n’est clairement qu’un simple faire-valoir.

Ma bouche est sèche et je manque de m’étrangler en leur souhaitant de passer une bonne soirée.

— Allez, amusez-vous bien ! Et Julie, n’oublie pas de retirer tes chaussures avant de monter à bord ! J’ai le sommeil lourd et je ne suis pas sûr de t’entendre appeler à l’aide si tu tombes à l’eau !

— Haha ! Ne t’inquiète pas pour ça. Avec ces talons, j’ai tellement mal aux pieds en fin de soirée que je les enlève dès qu’il n’y a plus un photographe en vue. Et ne nous attends pas : on va rentrer tard.

Ils sont montés dans un Uber pour une première étape dans un bar branché. Et moi je me retrouve seul. Enfin ! Une croisière sur un voilier, c’est évidemment très sympa. Mais on manque cruellement d’intimité, surtout quand on est le skipper. Alors parfois, un peu de solitude, ça fait du bien.

J’hésite à passer la soirée tranquillement à bord, puis je me dis que c’est tout de même dommage de rester dans cet espace confiné que je connais par cœur. Sans aller jusqu’à m’agiter sur une piste de danse, j’ai envie de voir un peu de monde et d’être dans une ville.

Je marche jusqu’à la réception de la marina et leur demande dans mon grec de cuisine de m’appeler un taxi pour aller dans la Vieille Ville. La réceptionniste m’informe qu’il faudra attendre 15 à 30 minutes car c’est samedi et c’est l’heure de pointe.

A ce moment-là, une femme, que je n’avais pas vue car elle était assise dans un coin de la salle, m’interpelle.

— On peut partager le mien si vous voulez. Il ne devrait pas t’arder.

Je me retourne. Elle se lève. Elle doit avoir dans les 40 ans. Un mélange entre Anna Mouglalis, pour le chien et la classe, et Mélanie Doutey, pour le sourire et les yeux qui pétillent. Wow ! Je suis sous le choc.

— Ah quelle chance ! Vous parlez français ?

J’ai envie de me donner des coups tellement cette réponse est nulle et sans intérêt. Le vrai péquenot qui n’est jamais sorti de sa cambrousse et qui est tout content de retrouver un compatriote. Son français a beau être parfait, je décèle tout de même une pointe d’accent. Comme si ce n’était pas sa langue habituelle.

— Enfin, je veux dire. Oui ! Avec plaisir… Désolé, j’ai été surpris. Je ne vous avais pas vue dans l’obscurité. C’est très gentil de votre part. Vous allez dans la Vieille Ville ?

— Oui. Comme vous. Je vous ai entendu commander votre taxi.

J’essaie de me rattraper avec un peu d’auto-dérision.

— Et mon grec est tellement mauvais ou mon accent français si fort que vous avez tout de suite compris que j’étais français !

Elle sourit et ça me fait comme des frissons de bonheur.

— Ne soyez pas si dur avec vous-mêmes. Au moins, vous avez fait l’effort d’essayer. Pas comme le 90% des étrangers.

Elle porte une robe courte ivoire à la coupe très simple, avec un motif subtilement grec bleu aqua. Ample et ceinturée à la taille. L’air de rien mais sûrement signée d’un grand designer. Le chic et l’élégance sans ostentation. Et sur la tête, un Panama qui a l’air authentique et sans doute pas acheté à un vendeur ambulant sur une plage.

Je ne suis pas mécontent d’avoir fait un effort de mon côté, avec un short en lin bleu marine et une chemise légère avec un motif floral et une coupe un peu vintage genre Miami Beach années 60. Je lui tends la main.

— Je m’appelle Fred. Je suis le skipper d’un voilier, là-bas, tout au fond de la marina.

— Et moi, je suis Danaé. Je travaille pour le propriétaire du Monokeros. Le grand voilier qui est en face de vous.

Je suis surpris mais ravi de voir qu’elle m’avait déjà remarqué.

— J’espère que je n’ai pas trop raté ma manœuvre d’arrivée.

— Mais pas du tout ! C’était parfait. Surtout en solitaire. Chez nous, ils sont 7 membres d’équipage. C’est tout de même plus facile. Mais j’ai surtout admiré le soin avec lequel vous avez remis tout le bateau en état. Vous devriez venir faire le ménage chez moi !

Ma parole, mais elle me drague ! Je rosis d’aise mais je n’en reviens pas. Je bredouille.

— Ah, qu’est-ce que vous voulez. Tous ces coups de fouet reçus sur le Bounty ont fini par me faire rentrer quelques règles dans le crâne.

Elle rit de bon cœur en ajoutant qu’il ne lui semblait pas avoir vu de cicatrices sur mon dos quand je lavais le pont tout à l’heure.

Nous en sommes là quand le taxi arrive et klaxonne pour nous avertir.

— Et où allez-vous exactement ? Il va bien falloir lui donner une destination à ce chauffeur.

— En fait, je n’ai rien prévu de spécial. Je pensais juste me promener au hasard.

Je me lance.

— Alors, venez avec moi. Nous irons boire un verre et vous me raconterez en détail en quoi consiste ce poste d’homme de ménage chez vous ! On en profitera aussi pour discuter de mon salaire.

Nous sortons de la réception pour embarquer dans le taxi qui s’impatiente. Je lui demande de nous déposer à proximité de la place Dimarchiou et il démarre en trombe.

La soirée s’annonce très bien.