Je m’assieds à côté d’elle pour mieux voir ce qu’elle va me montrer sur son laptop. Elle ouvre un fichier et un plan s’affiche à l’écran.
C’est le relevé d’une propriété. A mon avis, il doit dater des années 1960, car on voit qu’il a été tracé à la règle et à la plume plutôt qu’imprimé par un ordinateur. Il est relativement sommaire et a dû plutôt servir pour le cadastre que pour la construction. Il montre les limites du terrain et les grandes lignes des différents bâtiments. Évidemment, toutes les indications sont en grec, mais je discerne une petite maison et une dépendance qui devait être une sorte de remise. On voit la mer, la route et quelques autres indications, comme ce que je devine être un puits ou des murets. Et dans la partie du terrain la plus éloignée de la maison, vers la falaise qui surplombe la mer, un dessin assez vague de ce qui pourrait être un tas de pierre ou un éboulis.
Tout excitée, Danaé zoome sur cette zone et pointe du doigt l’indication qui figure juste à côté, ερείπια.
— Ça veut dire ruines !
Je suis moins enthousiaste qu’elle. Ça pourrait être n’importe quoi. Une vieille bergerie ou un ancien moulin… Ce serait tout de même plus probant si c’était inscrit en gras Vestiges du Temple d’Apollon.
— Et qu’est-ce que tu peux en faire ? Ça n’est pas très concluant. Et puis, ça date de 30 ans. Tu me dis que tout été détruit depuis. Alors ça me semble un peu mince pour permettre d’accuser Apatis. Il lui suffira de dire qu’il n’y avait rien à cet endroit quand il l’a acheté, ou alors juste quelques vestiges d’un grenier à grain.
— S’il a gardé ce plan après tout ce temps, il y a bien une raison. Et s’il veut à tout prix me retrouver, c’est bien que c’est important pour lui.
Elle a l’art de transformer un inconvénient majeur en avantage. Je sens bien qu’elle a sans doute raison sur ce point, mais j’ai peur que ce ne soit pas suffisant pour nuire vraiment à Apatis. Je suis un peu abattu. J’espérais avoir une carte plus forte à jouer.
— Et même si c’est bien ce que tu penses, qu’est-ce qu’il risque après tout ? Il doit largement y avoir prescription. Peut-être qu’on devrait simplement aller ensemble au commissariat le plus proche. Tu montres que tu es vivante. Qu’il s’agit d’un simple malentendu. Que tu es partie sur un coup de tête. Et comme ça, moi, je ne peux plus être accusé de rien.
Je la sens un peu déçue de me voir si peu motivé et apparemment plus préoccupé par mon propre sort que par sa vengeance. Mais elle doit aussi admettre que je n’ai pas complètement tort.
— Si c’est ce que tu veux, alors je le ferai. La police va arrêter ses recherches et se calmer, c’est vrai. Mais ne pense pas qu’Apatis va s’arrêter là.
— Mais qu’est-ce qu’il a à craindre de tout ça ? On ne peut rien prouver avec ce plan.
— Tu as raison que ça ne suffit pas. Mais si on pouvait prouver qu’il a détruit les vestiges d’un temple antique, ce serait très grave pour lui en termes d’image. Même s’il ne serait pas poursuivi par la justice après tout ce temps, sa réputation en prendrait un sacré coup. Lui qui se présente comme un entrepreneur plus blanc que blanc, ce n’est vraiment pas le moment d’avoir une telle tache sur sa chemise immaculée. Il est justement en pleines négociations avec l’État pour obtenir la licence bancaire pour Apli, ce qui lui ouvrirait d’énormes possibilités. Ça le ferait passer à un tout autre niveau. Celui de Revolut ou de Paypal. Et il pourrait s’étendre en Europe. Sans oublier qu’il compte entrer en bourse prochainement. Non, ce n’est vraiment pas le moment pour lui de traîner une casserole de ce genre. Alors, s’il doit nous faire taire, il le fera sans hésiter. Il a fait tuer mon père, alors il ne va pas se poser trop de questions à mon sujet. Il va me faire disparaitre. Et toi aussi.
Je réalise l’ampleur de l’enjeu. Et des emmerdes dans lesquelles je me suis fourré. La sueur qui coule sur mon front me pique les yeux. Je suis découragé.
— Mais alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? La seule preuve que tu as trouvée après 1 an de recherches, c’est ce foutu plan qui ne sert à rien.
Je pointe un doigt rageur sur l’écran et je scrolle dans tous les sens, faisant défiler toutes les zones du plan. Zoomant et dézoomant pour bien lui montrer qu’il n’y a rien.
Danaé, qui me regarde faire un peu abattue elle aussi, se redresse d’un coup.
— Arrête ! Reviens en arrière !
Elle reprend possession de son ordinateur et zoome sur le coin inférieur droit du plan. Il y a des indications écrites en tout petit. C’est en grec et la qualité du scan rend le texte difficile à déchiffrer.
Danaé plisse les yeux et tour à tour s’approche et s’éloigne de l’écran. Elle décrypte.
— Di-mi-trios… Mi-cha-la-tos… Ar-chi-téc-to-nas. Dimitrios Michalatos Architecte !
Elle se redresse, le visage illuminé par une lueur d’espoir.
— C’est le nom de l’architecte. Il faut absolument le retrouver.
— Mais pour quoi faire ?
— Il pourra sûrement nous en dire plus sur ce qu’il y avait réellement à cet endroit ! Ce sont tous un peu des maniaques des archives, ces architectes. Alors, c’est bien possible qu’il ait conservé des plans plus détaillés. Ou même qu’il ait des photos !
J’ai quelque doutes à ce sujet, mais je ne veux pas gâcher son enthousiasme.
— Tu as raison. Et il n’y a rien à perdre à tenter le coup, même si ça va être plus facile à dire qu’à faire. Il doit avoir pris sa retraite à l’heure qu’il est… Mais au moins, il y a du progrès…
Elle me décoche un si large sourire que je me sens fondre.
— C’est vrai ? Tu vas m’aider à le retrouver ?
Je n’ai pas l’impression de m’être engagé aussi formellement. Je voulais juste l’encourager, pas me trouver embarqué dans cette quête vaine et dangereuse. Elle pose sa main sur ma joue et plonge ses yeux dans les miens.
— Tu es un amour.
Mon cœur chavire. Elle est belle à croquer. Je sens que je vais le regretter, mais je ne vois pas comment revenir en arrière.
J’attrape ma bière et je la finis d’un trait. Je désigne sa bouteille vide.
— Tu en veux une autre ?
Le soleil est en train de passer derrière la colline et le voilier est enfin à l’ombre. La température devient un peu plus supportable.
Elle hésite.
— Peut-être plus tard. Mais je crois que je vais d’abord me baigner pour me rafraichir.
L’esprit occupé par nos recherches, nous n’avons pas pris le temps de profiter de la beauté du site. Il faut dire que nous n’étions pas vraiment dans le mood vacances. Pourtant, l’eau turquoise et le fond de sable clair sont un véritable appel à la baignade.
Elle se lève et descend dans la cabine. En arrivant à bord à Gáios, j’ai juste posé ses affaires dans le carré avant de préparer notre départ. Sans vraiment penser à la suite. À quelle cabine je lui proposerai. Mais contrairement à moi, elle attrape son sac et n’hésite pas.
— Je peux m’installer dans ta cabine ?
J’hésite à la rejoindre, mais avant que j’aie eu le temps de me décider et de mettre ce vague projet à exécution, elle en ressort déjà, vêtue d’un bikini bleu marine tout simple, mais qui lui va à merveille avec sa peau bronzée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le haut noué dans le cou met admirablement ses seins en valeur. Je n’y avais pas vraiment prêté attention avant, mais elle est vraiment bien fichue.
Quand elle passe devant moi, je dois lutter de toute la force de ma volonté pour garder mon regard au-dessus de ses épaules. Je ne sais pas comme elles font, mais, même de dos, les femmes savent toujours quand on les mate. Alors j’aimerais autant ne pas être catalogué immédiatement dans la catégorie gros relou.
Je me précipite pour lui ouvrir la plage arrière et déplier l’échelle de bain.
J’admire la fluidité et l’élégance de son entrée dans l’eau. Un exercice toujours difficile.
Elle pousse un soupir d’aise.
— Aah. C’est exactement ce qu’il me fallait. C’est divin. Tu ne veux pas me rejoindre ?
— Tu as raison. J’arrive.
Je descends à toute vitesse enfiler un maillot et je me dépêche de plonger à mon tour.
Après la tension de ces derniers jours, la fraîcheur de la mer me fait un bien fou. L’eau de la baie est lisse comme un miroir. Je me sens revivre.
Après avoir nagé pendant quelques minutes pour relâcher mes muscles, je reviens vers l’arrière du bateau. Danaé a fait le tour du voilier et on se retrouve vers l’échelle de bain. Elle se rapproche de moi. Il y a moins d’1 mètre entre nous. Ses cheveux mouillés encadrent son visage. Elle me regarde droit dans les yeux.
— Merci Fred. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
Elle lâche le montant de l’échelle et colle son corps contre le mien. Puis elle m’embrasse à pleine bouche.
Je la serre à mon tour contre moi pendant que nous nous enfonçons ensemble sous la surface, tombant doucement vers le fond. Mais ni elle, ni moi ne voulons lâcher prise, tous les deux emportés par l’extase de ce moment. Les yeux grands ouverts, remplis du plaisir de l’autre.
Lorsque nous remontons à bout de souffle à la surface, je sais que je la suivrai jusqu’au bout du monde.