Je me retrouve à 4 pattes sur le sol de la salle à manger, un peu sonné. Putain, ce mec ne plaisante pas. Fini de rire… On est passés aux choses sérieuses. J’ai l’oreille qui bourdonne et j’ai dû me couper la langue sur une dent car j’ai du sang dans la bouche. Je me redresse avec difficulté. Sofiane me repousse sur la chaise.
Laure leur crie qu’ils sont malades et se lève pour m’aider mais un des gardes la force à se rasseoir.
Je suis suffisamment lucide pour me dire qu’il faut absolument que j’aie l’air de ne pas comprendre ce qui m’arrive. Je dois leur faire croire que je suis innocent. Que nous sommes innocents. Que nous ne pigeons rien à ce qui se passe.
— Mais qu’est-ce qui se passe, Marco ?! Tu es devenu fou ? Qu’est-ce que tu nous veux ? Je croyais qu’on était amis.
— Ta gueule. On t’a vu dans la salle des machines. En full HD en train de farfouiller partout. Tu ne vas pas essayer de me faire croire que tu t’es perdu en cherchant les toilettes ? Qu’est-ce que tu foutais là en bas ? Qu’est-ce que tu cherchais ?
Moi qui comptais justement lui raconter que j’avais perdu mon chemin dans le labyrinthe de son yacht, il va falloir que je revoie sérieusement ma défense. Que je trouve une excuse plus plausible… Mais ses questions me disent aussi qu’il ne sait pas exactement ce que j’ai fait ou vu dans la salle des machines. La trappe de la cale ne doit pas être dans le champ de la caméra. Sinon, il serait sans doute bien plus brutal.
Je me dis qu’il vaut mieux lâcher du lest.
— OK. J’avoue… Je suis allé traîner dans la salle des machines, c’est vrai. J’essayais de trouver quelque chose à voler. Des outils électriques, genre perceuse ou disqueuse. Ou un booster de batteries. N’importe quoi qui coûte un peu cher et qui puisse m’être utile. Mais je n’ai rien trouvé. Allez quoi… Tu ne vas pas en faire toute une histoire. D’accord, je n’aurais pas dû, mais de là à nous poursuivre et nous ramener de force… C’est un peu exagéré, tu ne trouves pas ?
Je suis assez fier de moi. J’ai retrouvé le ton mi-pénitent, mi-revendicateur que j’utilisais à 15 ans avec mon père quand il me prenait en flagrant délit de mensonge.
— Et pourquoi vous avez foutu le camp comme ça au milieu de la nuit, avec le vent qu’il y a ? C’est l’attitude d’un type qui a la conscience tranquille ?
— Mais ça n’a rien à voir. J’ai vu que l’ancre ne tenait pas bien avec ce vent. Il fallait partir pour ne pas être drossé sur les rochers. Plutôt que de chercher à m’ancrer de nouveau, j’ai préféré partir en mer… C’est moins dangereux d’être au large.
Il est dubitatif. En théorie, mon histoire se tient… Le chef des hommes de main intervient.
— Et naviguer tous feux éteints, ça te semble normal ? Et naviguer en zig-zag pour éviter une poursuite, c’est comme ça que tu fais d’habitude ?
Je joue les résignés. Je désigne le type qui est venu parler à l’oreille de Castellane à la fin du dîner.
— Non… Mais j’ai bien vu que j’avais été repéré dans la salle des machines. Alors j’ai pensé qu’il valait mieux être prudent.
Castellane hésite puis s’adresse au chef des malabars.
— Ivo, fouille-les.
Ivo me palpe et me vide les poches. Sofiane s’occupe de Laure. Il pousse la fouille un peu loin et en profite pour la peloter, ce qui lui vaut une insulte bien sentie. Je n’ai pas grand-chose sur moi à part mon portefeuille et mon iPhone. Laure n’a que son téléphone.
Castellane ouvre mon portefeuille et en sort toutes mes cartes. Après les avoir examinées avec soin, il me demande de débloquer mon téléphone et commence à le fouiller. Mails, messages, photos. Tout y passe. Il n’y a rien de compromettant mais il ne faudrait pas qu’il se mette à chercher des échanges avec Laure, car notre couverture de couple en prendrait un coup.
— Mais qu’est-ce que tu cherches à la fin ? Je t’ai dit ce que je faisais dans ta foutue salle des machines. Oui, si j’étais tombé sur quelque chose de valeur, je l’aurais pris et je l’aurais posé ni vu ni connu dans mon annexe. Je n’en suis pas fier, mais en fin de compte, je n’ai rien pris. Alors appelle la police si ça te chante… Vous n’avez pas le droit de nous retenir ici.
Je vois Castellane hésiter. Jusqu’à présent, on est à la limite. Il ne s’est rien passé de grave et les choses peuvent encore en rester là.
Ivo sent que Castellane n’est plus aussi sûr de lui.
— Patron, ne vous laissez pas embobiner par ses histoires. Je suis sûr que ce sont des flics, ces deux-là. Ça doit être eux qui nous tournaient autour l’autre jour avec leur kayak.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de flics et de kayak ? Marco, tu as vu mes papiers ! Je suis un putain de skipper, pas un flic. Tu te rappelles quand même que j’ai donné des leçons de voile à ton fils ?
Je tends la main vers mon téléphone.
— Tu n’as qu’à aller voir le site de location de voiliers si tu ne me crois pas. Allez, vas-y! Clickandboat.com. Tu verras ma bobine et même les notes de mes clients. 4.6 sur 5 ! Et encore, j’aurais 4.9 sans un Allemand jaloux qui pensait que je lorgnais sa femme.
Je dois être assez doué pour jouer l’imbécile qui ne saisit pas dans quelle merde il se trouve, car Castellane a l’air de me croire. Rassuré mais toujours méfiant. Il se tourne vers Laure et lui tend son téléphone.
— A toi. Déverrouille-le.
Laure se saisit du téléphone mais ne semble pas pressée de le débloquer. Le contenu de son téléphone doit être plus compromettant que le mien. Sofiane lui flanque un coup sec dans le dos pour qu’elle se dépêche. Laure pousse un cri de douleur et tombe en avant. Sans le vouloir, il l’a frappée juste sur sa blessure.
Ivo se penche et la remet sur sa chaise. Puis il attrape la chemise de Laure et l’ouvre d’un coup sec, arrachant les boutons. Il l’enlève d’un coup. Je suppose qu’il voulait voir pourquoi Laure avait hurlé comme ça. Mais comme à son habitude, elle ne porte pas de soutif. Et l’ambiance change d’un coup. Les trois mecs ont l’air hallucinés par la vision des seins de Laure et même Castellane a les yeux rivés sur sa poitrine. Il faut dire que ça vaut le coup d’œil. Moi-même, je suis fasciné et ma bouche s’est asséchée d’un coup. Laure tente de récupérer sa chemise mais Sofiane la maintient assise en appuyant fermement sur son épaule.
— Bande de salauds. Vous n’avez pas bientôt fini de vous rincer l’œil. Vous n’avez jamais vu de femme ? Ça ne m’étonne pas. Vous êtes tellement moches.
Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne tactique pour les calmer. Castellane reprend le contrôle de la situation. Il prend la chemise des mains d’Ivo et la tend à Laure, qui s’en couvre la poitrine. Castellane s’approche et inspecte la blessure. Un peu de sang a traversé le pansement. Il a l’air intrigué.
— Comment tu t’es fait ça ? Sans doute pas en faisant du shopping… Ça a l’air assez frais.
Ivo intervient.
— Ça doit être l’autre soir quand on a percuté le kayak. Elle devait être l’un des 2 qu’on a heurtés.
Castellane lui jette un air noir et Ivo se tait d’un seul coup. Il baisse la tête. Il en a trop dit, on dirait.
— Je ne sais pas ce que vous avez avec cette histoire de kayak ! Non, j’ai bêtement glissé en sortant de l’annexe à Mljet et je me suis ouvert le dos sur une échelle de la jetée.
— Bon, assez perdu de temps. Ouvre ton téléphone.
Laure hésite quelques secondes, puis finit par s’exécuter. Castellane parcourt rapidement les différentes apps.
— Tu n’as aucun message ? C’est bizarre, tu ne trouves pas ? Les seules personnes qui effacent tous leurs messages sont celles qui ont quelque chose à cacher.
Laure n’a pas dû avoir le temps de faire dans la dentelle tout à l’heure. Elle hausse les épaules.
— Je ne sais pas ce que tu vas imaginer… C’est juste une habitude que j’ai prise avec mon ancien mari. Il était très jaloux et me questionnait pendant des heures sur tous mes messages. Un peu comme vous.
Je suis épaté par sa capacité à trouver si rapidement des explications qui se tiennent. Mais Castellane ne semble pas entièrement convaincu et continue à fouiller le téléphone. Il finit par pousser un Ha ! de satisfaction et brandit l’écran devant Laure. Je ne vois pas vraiment de quoi il s’agit. On dirait un QR Code.
— Et ça ? Tu peux m’expliquer ? C’est quoi ce vol Marseille-Split la semaine dernière ? Départ 11h, arrivée 12h40 avec Volotea. Qu’est-ce que tu foutais à Marseille ? Je croyais que tu étais ici avec Fred.
C’est sa carte d’embarquement numérique. Je me dis que cette fois, nous sommes grillés. Mais Laure ne se laisse pas démonter.
— Et alors ? Je ne vois pas le rapport avec quoi que ce soit. Je suis allé voir une copine, si tu veux savoir. C’était calme ici et Fred n’avait pas besoin de moi pendant quelques jours.
Elle a renfilé sa chemise mais, sans boutons, elle ne peut plus la refermer et ses seins sont toujours à l’air. Je pense qu’elle le sait et qu’elle en joue pour les déconcentrer.
Castellane reste silencieux quelques secondes puis s‘adresse à Ivo.
— Il faut vérifier. Tout ça ne me semble pas très clair. Prends-les en photo et envoie ça à nos contacts à Marseille. Si ce sont des flics, on aura la réponse demain. Et dès qu’il fera jour, vous irez fouiller le voilier. En attendant, enfermez-les en bas.