Ils nous enferment dans l’une des cabines d’invités au niveau inférieur. Il n’y a pas de mobilier, à part un lit double flanqué de tables de chevet encastrées, alors je m’assieds dessus faute de mieux.

Laure fouille les armoires et la salle de bains. J’imagine qu’elle espère dénicher une clé ou une arme, mais je pense qu’elle ne va trouver que des flacons de savon et de shampooing. Elle examine la porte et la serrure, mais, à voir son air découragé, je n’ai pas l’impression que le crochetage de serrure avec un trombone fasse partie de ses compétences. Elle finit par s’asseoir à côté de moi.

— Bon Fred… Je suis désolée de t’avoir embarqué dans cette histoire. Je ne te cache pas qu’on est dans la merde. Ils ont clairement des doutes à notre sujet et s’ils ont des indics dans la police, je vais être rapidement reconnue. Et ces types-là ne sont pas des tendres. Même si toi, tu n’y es pour rien, ils ne vont pas laisser un témoin derrière eux.

Je comprends ce qu’elle dit, mais je n’arrive pas à réaliser que je vais peut-être mourir dans quelques heures. Il faut dire que de voir les seins de Laure qui balancent à chacun de ses mouvements ne fait rien pour aider ma concentration. Et ça donne un côté irréel à la situation.

Je me prends à rejouer dans ma tête la scène avec Michel Blanc dans les Bronzés font du ski. Dans 10 minutes, je nous considère comme définitivement perdus. Tant qu’à mourir demain, autant profiter des dernières heures qui nous restent et nous envoyer en l’air. Mais je crains que Laure ne soit pas vraiment dans le mood.

— Et s’ils nous ont fait ancrer le bateau loin d’ici, c’est sans doute parce qu’ils ne veulent pas de lien entre eux et nous. Ça veut dire qu’ils n’ont jamais eu l’intention de nous laisser sortir d’ici vivants. Castellane est prudent et malin. Alors il veut être sûr de qui nous sommes et de ce que nous savons avant de nous faire disparaitre. Mais demain, dès qu’ils auront leur confirmation, ils vont nous ramener sur le voilier. Et là-bas, nous aurons un « accident ».

Je me demandais pourquoi ils avaient fait tout ce micmac, en me faisant ancrer ailleurs avant de nous transporter ici dans le tender. Mais ce que dit Laure me semble une évidence maintenant. Et ça me fait froid dans le dos.

— S’ils ne nous ont pas trop tabassés tout à l’heure, c’est parce que Castellane ne veut pas de traces de coups suspectes sur nos corps.

Laure poursuit.

— Il doit être 2 heures du matin. On est vendredi. Ils n’auront sans doute pas de réponse avant 8 ou 9 heures, le temps que leur contact soit à son bureau et allume son ordi. Ça nous laisse quelques heures pour trouver le moyen de foutre le camp. Alors si tu as des idées, c’est le moment. N’hésite pas.

Je ne réponds pas. Il n’y a pas grand-chose à ajouter. Je sais qu’elle a raison. Comme l’interrogatoire de tout à l’heure était resté plus ou moins civilisé, je m’étais dit qu’ils nous relâcheraient peut-être au bout d’un moment avec un Allez, sans rancune. Désolés du dérangement. Mais je me rends compte que c’était un peu naïf.

Je me lève pour inspecter la cabine à mon tour. La porte a l’air solide. C’est autre chose que sur mon voilier. On pourrait peut-être la casser – encore que je ne sais pas avec quoi – mais ça ferait trop de bruit.

Les hublots ne s’ouvrent pas. Tout le yacht est climatisé. Ils ne nous ont pas attachés, donc ils doivent être sûrs qu’on ne peut pas sortir de la cabine. Il y a bien des bouches de ventilation, mais le faux-plafond est trop étroit et fragile pour qu’on puisse espérer passer par là.

Il doit y avoir des coffres sous le matelas. Je le soulève et effectivement je vois qu’il y a une grande trappe en dessous. Mais mes espoirs sont vite déçus, car il ne contient rien d’autre que 2 gilets de sauvetage.

Je réfléchis à la suite. Même si leurs contacts ne reconnaissent pas Laure sur la photo, lorsqu’Ivo et ses sbires iront fouiller le voilier, ils vont forcément trouver des informations sur Laure.

— Tu as des choses compromettantes sur le voilier ?

Laure réfléchit quelques secondes et finit par grimacer.

— Ma carte de police est dans une poche de mon sac de voyage. Mais même s’ils ne la trouvent pas, il y a plein de papiers et de cartes dans mon portefeuille qui montrent que j’habite Marseille. Sans compter qu’ils vont aussi tomber sur les affaires d’Eric. Et lui aussi, il doit avoir sa carte de flic quelque part. Il faut vraiment qu’on trouve un moyen de sortir d’ici rapidement. Sinon, on est cuits.

Même si la cabine est bien insonorisée, le vent semble souffler de plus en plus fort dehors et le yacht bouge plus qu’avant, malgré les stabilisateurs. Je n’entends aucun autre bruit dans le yacht. Tout le monde doit être couché, à l’exception d’1 ou 2 gardes sans doute. Il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre et nous finissons par nous allonger côte à côte, silencieux et chacun dans ses pensées.

 


 

Le bruit de la serrure me réveille d’un coup. J’ai dû m’assoupir. Ça y est. C’est la fin. Ils viennent nous emmener. Ils ont eu la confirmation qu’ils attendaient. Ou alors, ils ont finalement décidé de passer à des méthodes d’interrogatoire plus brutales.

La porte de la cabine s’ouvre doucement. Mais au lieu d’un des malabars, c’est Aga qui entre.

Elle referme la porte avec précaution. Elle s’adresse à Laure.

— Vous aller bien ? Sorry, je ne parler pas très bien français.

Elle nous explique qu’elle est remontée dans la cuisine pour récupérer son téléphone qu’elle avait oublié. Et elle a entendu Castellane et Ivo parler de nous dans la salle à manger. Elle a compris qu’il se passait quelque chose d’anormal quand ils ont envoyé l’équipage dans ses quartiers. Laure avait vu juste. Ils attendent bien confirmation de leurs sources à Marseille. Une fois que ce sera fait, Ivo doit nous ramener sur le voilier sans se faire remarquer. Ensuite, il doit lever l’ancre et partir au large avec le voilier. Et nous balancer à l’eau. Vivants… Avec ce temps, notre disparition aura l’air naturelle. Un dramatique accident. Encore un skipper qui a présumé de ses forces en navigant dans un coup de Bora. Avec son passager, ils ont été imprudents et n’ont pas mis pas de harnais. Et ils ont dû glisser ou perdre l’équilibre. Ça arrive tout le temps…

Alors elle a décidé de nous aider à nous enfuir. Nous nous levons Laure et moi, prêts à sortir de la cabine. Aga nous arrête.

— Non. C’est trop dangereux pour moi. Si eux savoir que je aider vous, je vais avoir problèmes. Je ne peux pas donner vous ma clé.

Elle me tend 2 tournevis et une pince.

— C’est tout ce que j’ai trouvé. Ne faites pas de bruit. Sofiane et Idris sont dans le salon.

Idris doit être le 3ème garde.

Elle se tourne pour repartir. Laure lui pose la main sur le bras pour la retenir. Elle la prend dans ses bras.

— Merci Aga. Je sais que tu as pris de grands risques pour nous aider.

Aga ne sait pas trop quoi dire et repart en refermant la porte derrière elle.

— Et attendre 5 minutes pour laisser moi rentrer dans ma cabine.

Je peux comprendre son point de vue, surtout quand on connait Castellane et la violence dont il est capable, mais ça ne nous arrange clairement pas qu’elle ait refermé la porte à clé.

Après quelques secondes, je me lance dans une tentative de démontage de la serrure. Après tout, il s’agit de portes intérieures qui ne sont pas vraiment conçues pour résister à des cambrioleurs. En temps normal, elles ne sont d’ailleurs sûrement jamais fermées à clé.

Je parviens facilement à dévisser la plaque décorative qui protège la serrure, mais je dois vite me rendre à l’évidence : ça ne m’avance à rien pour déverrouiller la porte. J’essaie d’arracher le cylindre avec la pince, mais c’est peine perdue.

Après quelques minutes d’efforts, je dois m’avouer vaincu. A force de bricoler sur mon voilier, je commence à m’y connaître un peu en plomberie marine et en moteurs diesel. Mais je n’y connais absolument rien en serrures.

Laure se lève à son tour et me prend un tournevis des mains.

— Les cambrioleurs sont des flemmards. Lorsque la serrure est trop solide, ils n’insistent pas et passent par le côté.

Elle s’approche de l’autre côté de la porte et examine les charnières. Elle sourit.

— Je crois qu’on va pouvoir s’en sortir. Le gond est amovible. On peut le dévisser.

En 2 minutes à peine, elle retire les gonds des 3 charnières de la porte. Ensuite, elle enfonce le tournevis plat entre le chambranle et la porte, puis fait levier pour faire pivoter la porte vers l’intérieur. Ça craque un peu, ça grince, mais ça finit par passer. Je l’aide du mieux que je peux et nous faisons glisser la porte tout entière dans la cabine.

Bingo.

L’escalier qui mène au pont principal est juste devant nous. Quelques marches à monter et nous nous retrouverons dans le foyer, en face de la porte extérieure. Et juste là, dehors, il y a l’échelle de coupée, avec le tender en bas.

Et la liberté.