Je regarde partout autour de nous dans l’espoir de trouver quelque chose qui pourrait nous être utile. Mais le Zodiac est équipé au minimum et il n’y a rien qui traîne.
Ça m’aurait pourtant bien arrangé de trouver un fusil harpon ou un pistolet lance-fusées oubliés à nos pieds. En tout cas, dans les films d’aventure, c’est comme ça que je m’en serais tiré.
Nous sommes assis sur le capot avant. À l’intérieur du coffre, il doit sans doute y avoir une petite ancre, des cordages et peut-être 1 ou 2 pare-battages ou des gilets de sauvetage. Mais pour y accéder, il faudrait nous lever et le soulever. Et pendant ce temps, le tueur aurait tout le temps d’intervenir.
Il amorce un large virage à gauche. Mon hypothèse semble se confirmer : le Monókeros ne doit pas être loin. Il va falloir trouver une solution rapidement.
Entre son flingue qu’il tient plus ou moins pointé sur nous et la barre, il a les 2 mains occupées et ne peut pas vraiment se concentrer sur le pilotage.
A ce moment-là, une vague plus grosse que les autres secoue le bateau et le déséquilibre. Il nous quitte des yeux quelques instants pour réduire la vitesse. Sans trop réfléchir, j’en profite pour libérer l’amarre du taquet et ramasser le cordage posé en tas.
Mais au moment où je m’apprête à le lui lancer dessus pour tenter de le maîtriser, il lève les yeux et dirige son arme sur moi. Trop tard !
Je me jette à l’eau avec l’amarre toujours dans les mains. Avec la vitesse, je heurte sèchement la surface et j’en ai le souffle coupé.
Lorsqu’enfin je remonte au-dessus de l’eau, je vois le semi-rigide à 200 mètres de moi qui fait demi-tour et revient à toute allure dans ma direction. Dans la pénombre grandissante, je discerne le tueur qui tend son bras armé vers moi sur le côté du pare-brise. Il est sans doute encore trop loin pour espérer m’atteindre mais ça ne va pas durer. Dans quelques secondes, il n’aura même pas besoin d’être un tireur d’élite. Il lui suffira de s’arrêter à côté de moi et je serai une cible facile.
Mais alors que le Zodiac n’est plus qu’à environ 100 mètres, je le vois rentrer son bras derrière le pare-brise. Il a dû changer d’avis. Il faut dire que, même si on s’est bien éloignés de la plage et de l’autre voilier, un coup de feu ferait beaucoup de bruit et ne manquerait pas d’attirer l’attention.
Mon soulagement n’est que de courte durée car je vois le bateau ajuster sa trajectoire pour me foncer directement dessus. Et ainsi me fendre le crâne avec la coque ou me déchiqueter avec l’hélice. Ça soulèverait aussi moins de questions. Un tragique accident de navigation.
J’essaie de m’écarter en nageant mais il n’a aucune peine à corriger sa route pour me garder dans le collimateur. C’est illusoire d’imaginer lui échapper de cette manière. Je ne peux pas aller suffisamment vite ou changer assez rapidement de direction.
Heureusement, le Zodiac n’a que peu de tirant d’eau. Alors au dernier moment, au moment où la proue se rapproche à toute vitesse de ma tête, je me fais couler en battant frénétiquement des bras pour descendre. Je sens le tourbillon de l’hélice qui passe à quelques centimètres au-dessus de ma tête. Sauvé !
Quand je reviens à la surface, je suis essoufflé et je bois la tasse. Après avoir toussé et craché pendant de longues secondes, je vois du coin de l’œil le bateau qui a refait demi-tour et qui fonce à nouveau sur moi.
J’essaie de garder mon calme et de passer en revue mes options. Je pourrai peut-être l’éviter encore 1 ou 2 fois comme ça, mais après, je serai épuisé. Le canot se rapproche à toute vitesse.
À ce moment-là, je réalise que l’amarre est toujours entortillée autour de mon poignet.
Ça me donne une idée, mais je n’ai pas le temps de la mettre à exécution avant de devoir à nouveau me couler en catastrophe pour éviter le choc.
Une fois revenu la surface, j’enlève une de mes baskets et l’attache avec le lacet à une extrémité de l’amarre. La chaussure est si légère qu’elle flotte et empêche le cordage de couler. Puis j’enroule l’autre bout de la corde autour de ma main et je nage à reculons pour la placer en travers de la route du Zodiac.
Entre ses 2 extrémités, la corde en polyester s’enfonce un peu entre 2 eaux et est invisible. De toutes façons, avec le peu de lumière qui reste, il y a peu de chances qu’il puisse voir quoi que ce soit.
Le semi-rigide fonce à nouveau sur moi. C’est l’hallali. Je suis fatigué et je ne pourrai plus continuer longtemps comme ça. Il va falloir que je la joue finement si je veux que le bateau passe sur l’amarre et qu’elle se prenne dans son hélice. Plutôt que de me laisser couler comme je l’ai fait les 2 fois précédentes, je vais devoir me propulser en arrière au dernier moment, comme un torero évitant le taureau.
Quand il ne reste plus que 5 mètres, je bats furieusement des jambes pour m’écarter de la route du bateau. Mon plan semble fonctionner. Il passe juste au-dessus de la corde, mais je n’ai pas assez de puissance dans les cuisses pour me dégager complètement. La coque me heurte l’épaule. Je me sens happé vers l’arrière à toute vitesse et j’ai heureusement la présence d’esprit de lâcher l’amarre au dernier moment avant d’être entraîné vers l’hélice.
J’entends un grand tchac et l’horrible bruit du moteur qui se bloque et cale.
Dans le silence qui suit, j’entends le tueur hurler des Malákas ! de frustration. Le semi-rigide s’est arrêté à une dizaine de mètres de moi. Je vois le tueur qui tente de comprendre ce qui s’est passé. Il réalise assez vite le problème et bascule le moteur pour sortir l’hélice de l’eau et pouvoir la dégager.
Et là, alors qu’il est penché au-dessus du boudin, Danaé se précipite sur lui et le pousse à la mer.
Quand il émerge, il s’accroche aux lignes de vie sur les coques pour essayer de remonter à bord. Il n’a plus son pistolet à la main. Il a dû le perdre dans l’eau dans sa chute ou alors, il l’a laissé tomber dans le bateau. Danaé a pris la gaffe et le repousse tant bien que mal.
Je nage vers le bateau aussi vite que je peux. J’agrippe le tueur par les épaules et le pousse de toutes mes forces vers le fond, le forçant à lâcher prise.
Quand il remonte à la surface, il a bu la tasse et se met à tousser violemment. Il peine à reprendre son souffle. J’en profite pour me hisser sur ses épaules et l’enfoncer encore une fois sous l’eau. Il se débat et finit par réussir à se libérer. Il tente de me garder à distance en me repoussant à coups de pied, mais ses mouvements sont ralentis par l’eau et manquent de force. J’entends sa respiration sifflante et je sens qu’il est à bout.
J’hésite. Je parviendrais sans doute réussir à me hisser à bord du Zodiac sans qu’il puisse m’en empêcher. Mais après ? La côte n’est pas si loin et il peut même espérer qu’un bateau vienne à son secours. Et après, j’aurais toujours peur qu’il ne soit encore à nos trousses, planqué dans l’ombre prêt à nous tirer dessus.
Non. Il faut en finir.
Je prends une grande inspiration et me jette sur lui. Je le saisis à bras le corps et l’entraîne sous l’eau. Il s’agite dans tous les sens pour se dégager, mais je le tiens solidement. Je bats furieusement des pieds pour nous faire descendre vers le fond.
Toutes mes années de plongée en apnée me donnent l’avantage. Il commence à suffoquer. Dès qu’on atteint 3 mètres de profondeur, l’obscurité est presque totale et on n’y voit rien, passé 50 centimètres. Il a peur. Et plus il panique, plus je suis lucide, confiant dans l’issue du combat. Je vois ses yeux grands ouverts qui me fixent et semblent me supplier. Il n’a plus d’air. Après 2 minutes, il finit par perdre connaissance. Quelques bulles s’échappent de son nez. C’est fini.
Je le lâche et nage rapidement vers la surface.
Quand j’émerge enfin, je vois Danaé qui scrute l’eau sombre d’un air soucieux.
Et son sourire quand elle m’aperçoit est ma plus belle récompense.
Après ce duel à mort, je me sens complètement vidé et Danaé doit m’aider pour que je parvienne enfin à remonter à bord du Zodiac. Épuisé et sous le choc, je reste de longues minutes allongé au fond du bateau pendant que Danaé me réconforte du mieux qu’elle peut.
Une fois que j’ai repris quelques forces, je m’occupe de libérer l’hélice, éclairé par Danaé qui a trouvé une torche dans l’un des coffres. Je n’ai pas la patience de dénouer l’enchevêtrement de l’amarre, alors je taille dedans à grand coups de couteau.
Le corps du tueur a fini par remonter à la surface. Je le ramène contre la coque et, penché par-dessus le boudin gonflable, je le leste avec le grappin trouvé dans le coffre avant, pour le faire couler et éviter qu’on ne le retrouve.
Je ne regrette pas de l’avoir tué. Après tout, c’était lui ou moi… Mais j’aimerais autant ne pas avoir à répondre aux questions de la police à ce sujet.
Maintenant, il faut filer. Je suis sur le point de démarrer le moteur pour filer quand la radio se met à crachoter.