J’ai mal partout, j’ai failli mourir, mais ça m’est égal.

Je n’ai plus de téléphone et aucune carte bancaire, mais ce n’est pas si grave.

L’un de mes clients est mort et gît par 50 mètres de fond entre 2 îles croates. A tout moment, il peut remonter à la surface et j’aurais à faire face à un certain nombre de questions désagréables. Par exemple, pourquoi je n’ai rien dit aux autorités. So what ?

Un des caïds de la drogue de Marseille veut ma peau car mon témoignage pourrait l’envoyer en prison. Mais il faut relativiser…

Ce qui compte, c’est d’être vivant.

De pouvoir respirer à pleins poumons la brise de mer. De sentir le soleil de juin sur ma peau. D’entendre ces mille bruits familiers qui rythment la vie d’un port. De m’absorber dans des tâches simples et concrètes.

Laure est partie faire un brin de toilette aux douches de la marina. Ça aussi, ça fait partie des rituels des voileux. Tous ces gens qui vont et viennent, seuls ou en famille, leur trousse de toilette à la main, une serviette sur l’épaule, marchant tongs aux pieds en sifflotant vers leur petit luxe du jour. Des douches spacieuses avec de l’eau chaude à profusion. Des toilettes confortables qu’il n’y a pas besoin de pomper. Les plaisirs simples de la vie après quelques jours sur un voilier.

Pendant ce temps, je m’active et m’occupe du bateau. J’ouvre en grand tous les hublots pour aérer et sécher l’intérieur. Je me connecte à la borne du quai pour recharger les batteries. Je fais le plein des réservoirs d’eau. Je rince le pont à grande eau pour dessaler tout ça.

Vider la glacière. Nettoyer la cuisine et les salles de bain. Faire un peu de ménage et ranger tout ce qui a valsé pendant la tempête. Changer les draps.

J’ai des frissons rien que de refaire le lit double de ma cabine, en songeant à ce qui va s’y passer dans quelques minutes.

Ah, Laure… Je ne pense qu’à elle ce matin. Elle est dans chacun de mes gestes. En nettoyant le frigo, je pense aux repas et aux cocktails que je lui ai préparés. A sa langue qui passe sur le bord du verre avant de boire une gorgée. Au soupir d’aise qu’elle pousse avant de dire Hmm, c’est bon. C’est justement ce dont j’avais besoin.

En astiquant sa salle de bains, je l’imagine nue en train de se laver, de se sécher soigneusement, de se passer des crèmes sur le corps, de se préparer en pensant à moi.

En rinçant le cockpit, je me remémore nos conversations le soir ou nos séances de planque, quand nous surveillions le yacht à la jumelle. En passant au jet la plage arrière, je la revois sortir de l’eau dans son maillot de bain couleur bronze, avec les gouttes qui perlaient sur sa peau. Et puis la vision de son corps nu quand elle s’est déshabillée devant moi sans aucune pudeur.

Elle m’obsède, mais c’est un bonheur de ne penser qu’à elle. Je ne peux rien lui refuser et elle fait de moi ce qu’elle veut, mais c’est un honneur de la servir. Elle me rend courageux. Elle me rend fort. Elle me rend beau. Elle me rend meilleur.

J’ai tout fait pour la mériter. Pour l’impressionner. Il ne s’est pourtant vraiment pas passé grand-chose de physique entre nous. Enfin pas encore… Un baiser somme toute assez chaste et quelques caresses imprécises et fugitives. Mais je ressens une connexion profonde avec elle. Je sens qu’un lien très fort s’est tissé entre nous. Ça doit être le fait d’avoir risqué notre vie ensemble. D’avoir affronté le danger côte à côte.

Je sens aussi que j’ai grandi à ses yeux. Qu’elle me considère désormais comme digne d’elle. Digne de sa force. De son engagement. Alors, nous allons vivre de belles années ensemble. Elle sera à mes côtés. Elle reprendra le rôle d’Olivia. Elle gèrera l’accueil des clients et l’intendance. Moi, je m’occuperai de la navigation et de la cuisine.

Laure revient, fraîche et rayonnante, enveloppée dans une serviette qui ne couvre pas grand-chose. C’est fou ce qu’une bonne douche et un sèche-cheveux peuvent faire pour le moral des femmes.

— A ton tour, Fred. Tu verras. C’est un délice. Vas-y. Il n’y a presque personne.

Je souris et me dirige à mon tour vers le bloc des sanitaires.

Après m’être lavé avec soin tout le corps, je suis prêt à affronter le monde. Et à faire la découverte du corps de Laure. A le cartographier en détail. A lui prouver que je peux être doux et fougueux à la fois. A lui laisser m’enseigner les gestes qu’elle préfère.

Avant de rentrer au bateau, je passe à la réception de la marina. A l’accueil, les filles me connaissent et me laissent utiliser leur ligne fixe pour annuler mes cartes de crédit et en commander de nouvelles. Elles m’indiquent également où je peux m’acheter un nouveau téléphone et une carte SIM.

Je profite d’être là pour aller faire quelques courses au Consum. Rien d’extravagant. Juste le minimum pour tenir un jour ou deux. Entre 2 séances de baise effrénée, il nous faudra bien reprendre des forces.

En marchant le long des pontons jusqu’au Bora-Bora, je me dis que ce sera peut-être compliqué de rester dans la marina. Nous sommes entourés d’autres voiliers et l’isolation sonore n’est vraiment pas la qualité principale d’un bateau. Et il faut aussi imaginer que Castellane a dû envoyer des gens pour nous retrouver.

Il vaut peut-être mieux que nous passions quelques jours dans une crique isolée. Peut-être juste à côté, à Lopud ou Šipan. Nous serons plus tranquilles et pourrons vivre nus sans avoir à nous soucier de gêner qui que ce soit.

Mais avant cela, ce serait bien d’inaugurer immédiatement ces draps tout propres. Pour battre le fer tant qu’il est chaud.

Il est près de midi. Après un petit casse-croute sur le pouce, un mojito de derrière les fagots pour nous détendre et une première séance de galipettes suivie d’une sieste sensuelle, je pourrais l’emmener visiter Dubrovnik. Ajouter une touche culturelle. Lui montrer que je ne suis pas une bête après tout. La ville est vraiment magnifique, surtout en fin d’après-midi.

On pourrait dîner là-bas, passer la nuit à la marina et ne partir que demain matin.

Je monte à bord et dépose les achats sur la table du cockpit. Je me réjouis des prochaines minutes.

— Laure ?

A la qualité du silence, je comprends tout de suite qu’elle n’est pas là. Qu’elle n’est plus là.

Je crains le pire. Ils l’ont enlevée. Je me rue à l’intérieur. Sa cabine est vide. Vidée de ses affaires. Rien dans sa salle de bains non plus.

Sur la table du carré, il y a un mot.

Mon cher Fred. Désolée de partir sans rien dire, mais c’est plus simple comme ça. Je ne suis pas douée pour les adieux. Et surtout je n’ai pas une minute à perdre. Castellane doit désormais avoir mon nom complet et il pourrait très facilement utiliser ses contacts dans la police pour me faire bloquer à la frontière et m’empêcher de quitter le pays. Et maintenant que j’ai la vidéo, il faut que je rentre le plus vite possible à Marseille pour faire en sorte qu’elle serve au moins à quelque chose. Si je pars tout de suite, j’ai peut-être une chance de passer entre les mailles du filet. Alors, je file à l’aéroport et j’embarque dans le premier avion. Merci pour tout. Tu as été magnifique. XX Laure. PS : je t’enverrai un email avec mon numéro dès que j’aurais un nouveau téléphone.