Nous ne sommes pratiquement pas sortis de la cabine hier. Juste quelques incursions jusqu’à la cuisine pour chercher de quoi boire et quelques bricoles à grignoter.
Nous avons fait l’amour encore 2 fois, explorant de nouvelles possibilités. A ce stade, je crois qu’on peut dire que nous sommes tout à fait compatibles sur le plan sexuel.
Ça met fin à plusieurs mois de disette de mon côté et, si j’en crois ce que me dit Danaé, il en va de même pour elle.
La chaleur est un peu tombée pendant la nuit et j’ai profité d’une petite brise thermique pour installer rapidement la manche à air et ventiler la cabine. Nous nous sommes endormis tous les 2 côte à côte et c’est la meilleure nuit que j’ai passée depuis longtemps.
Ce matin, je me suis levé avant Danaé et j’ai foncé au yacht-club acheter de quoi préparer un petit-déjeuner. Nous sommes tranquillement en train de finir notre énième tasse de café à la table du cockpit quand l’inspecteur se pointe.
Il a l’air emprunté.
Je propose de lui préparer une tasse de café et il accepte avec reconnaissance. Quand je remonte de la cuisine avec une tasse et la cafetière fumante, il est en grande discussion avec Danaé. Elle a la mine sombre et je comprends que tout ne se passe pas comme prévu.
— Yorgos vient de me dire que sa hiérarchie va enterrer l’affaire. Son chef lui a ordonné de cesser de perdre du temps avec ces vieilles histoires et l’envoie s’occuper d’une série de vols dans un camping de la côte ouest. Il est sûr que c’est venu de très haut. Les ordres sont de ne pas faire de vagues. Il est désolé…
Alamanos semble encore plus désabusé que d’habitude. Il est passé de vaguement cynique à clairement dégouté… Il finit sa tasse d’un trait et se lève en disant qu’il doit y aller. D’ailleurs, il n’est venu qu’officieusement. Il n’est plus censé avoir de contact avec nous.
Une fois qu’il est reparti, je m’attends à ce que Danaé soit complètement déprimée, mais elle semble certes furieuse, mais plutôt déterminée.
— Je n’espérais pas beaucoup de soutien de la part de la police, ni de la justice. Ça aurait été mieux bien sûr, mais on va passer par la presse.
Elle m’explique qu’il y a plusieurs médias d’investigation très combatifs en Grèce, qui sont vraiment militants car ils font l’objet d’attaques sévères. Ça ne rigole pas, on dirait. Il y a 3 ans, le gouvernement a été impliqué dans un énorme scandale d’espionnage d’opposants politiques et de journalistes. Et l’année d’avant, c’est l’une des figures du journalisme d’investigation qui a été assassinée devant chez lui. Il enquêtait sur la corruption et le crime organisé.
Je réalise qu’on est loin des disputes de cour d’école qu’on peut connaître en France. Et aussi qu’il va falloir faire attention à nous. Ici, la violence contre les médias atteint un tout autre niveau. Si on y ajoute la menace que fait déjà peser Apátis sur nous, ça commence à faire beaucoup.
Danaé connait les différents médias bien mieux que moi. Ce n’est pas bien difficile puisque je n’y connais rien. Je ne parle pas la langue, alors je n’ai jamais lu un seul journal grec, ni regardé une émission de télévision depuis que je suis arrivé.
Elle propose de contacter Reporters United. C’est un réseau de journalistes d’investigation grecs, qui effectue ses propres enquêtes et collabore aussi avec des médias internationaux. Ils ont créé GreekLeaks, une plateforme grecque de lanceurs d’alerte qui permet de faire des dénonciations de manière anonyme.
Elle leur envoie un message sur Signal en résumant l’affaire. La destruction par Apátis des vestiges d’un temple antique il y a 25 ans. Une liste des preuves que nous avons en notre possession : le plan de la maison qui indique les ruines, les anciennes photos prises par Michalátos et son témoignage enregistré en vidéo par Danaé. Sans oublier son assassinat par un tueur à gages, et notre tentative d’enlèvement sur ordre d’Apátis.
— Voilà… Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils mordent à l’hameçon. Avec l’appât qu’on leur agite sous le nez, ça devrait tout de même les intéresser.
Elle ne croit pas si bien dire car nous recevons une réponse moins d’une demi-heure plus tard. Un certain Thanasis Karapoglou nous contacte. Il est très intéressé par nos révélations et veut nous rencontrer rapidement. En personne. Il se méfie. À en juger par ce que m’a raconté Danaé, je ne peux pas lui en vouloir.
Il se trouve actuellement à Ioánnina, en train de mener une enquête sur des fraudes aux subventions agricoles européennes. Il nous propose de nous retrouver l’après-midi même à Igoumenítsa, le port juste en face de Corfou sur le continent. C’est à un peu plus d’une heure de ferry.
Il y a des bateaux toutes les heures. Le journaliste nous a recommandé la plus grande prudence, alors nous décidons d’aller à pied jusqu’au terminal en passant par la vieille ville, comme un couple de touristes en vacances.
Une heure plus tard, nous embarquons à la dernière minute sur le Kerkyra Express. Nous avons payé nos billets en cash et nous avons éteint nos portables avant de quitter le voilier.
Après être montés à bord, nous scrutons les quelques passagers qui embarquent après nous pour tenter de deviner si l’un d’eux est en train de nous suivre. A première vue, rien d’anormal.
Pendant le trajet à pied, nous avons multiplié les changements de direction et les arrêts intempestifs pour tenter de débusquer une éventuelle filature. Nous n’avons rien vu qui nous semble louche.
La traversée se passe sans encombre. Nous jouons les amoureux en goguette, ce qui n’exige heureusement pas de grands talents d’acteurs de notre part.
S’il faisait assez frais sur le pont du ferry, c’est tout le contraire dès que nous débarquons à Igoumenítsa. Le port est une immense étendue de béton surchauffée de soleil où se croisent des dizaines de camions, de voitures et de camping-cars. C’est sans doute l’endroit le plus moche de toute la Grèce. Et le plus chaud.
Thanasis Karapoglou nous a fixé rendez-vous au milieu d’une petite forêt de pins sur une colline qui surplombe le port. Heureusement, le terminal domestique se trouve de ce côté et nous pouvons rapidement nous engager dans les petites rues du bord de mer, avant de monter les escaliers qui mènent au bois de pins. Nous ne voyons personne s’engager dans le même direction que nous.
La montée est rude en plein cagnard, mais nous gagnons quelques degrés lorsque nous arrivons sous l’ombre des arbres. C’est une sorte de zone naturelle protégée. Il est presque 14 heures et, à cette heure-ci, il n’y a absolument personne. Juste quelques voitures qui empruntent la petite route qui coupe la forêt en 2.
Nous avons rendez-vous à 15 heures, sur une place de jeux pour enfants qui se trouve presqu’au sommet de la colline. Comme nous sommes en avance, nous en profitons pour faire des détours sur la multitude de chemins qui sillonnent la forêt, histoire de débusquer une éventuelle filature. Nous sommes clean.
L’aire de jeux se résume à un petit portique d’escalade avec un toboggan. Juste à côté, il y a une table de pique-nique avec des bancs.
Et un homme déjà installé nous regarde arriver.