Elle m’emmène dans un petit immeuble du Camas. C’est chez Eric. Enfin, c’était.
C’est au 3ème. Evidemment sans ascenseur. Laure sort un trousseau de clés de sa poche et nous ouvre. L’appartement est petit et sent le renfermé. Il y a juste une salle de séjour avec une kitchenette ouverte, une petite chambre à coucher et une salle de bains. C’est bien rangé. Le lit est fait au cordeau et rien ne dépasse. On sent l’ancien militaire. Le ménage n’a visiblement pas été fait depuis un moment et il y a de la poussière partout. Mais comme Eric est mort il y a près de 2 mois, ce n’est pas étonnant.
Laure s’assied à un petit bureau et ouvre les différents tiroirs jusqu’à ce qu’elle trouve ce qu’elle cherche. Un porte-clés avec une grosse boule de liège.
— Bingo. Je savais que je pouvais compter sur Eric. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place.
— C’est quoi ces clés ?
— Celles de son bateau. Il est aussi amarré dans le Vieux-Port, mais c’est vraiment le seul point commun avec celui de Castellane… D’ailleurs, il est du côté opposé, quai de Rive Neuve. Je n’y suis allé qu’une fois, mais je devrais pouvoir le retrouver sans trop de problèmes.
— C’est quoi comme genre de bateau ?
— Oh moi, je n’y connais pas grand-chose et comme je t’ai dit, je ne l’ai vu qu’une fois. Mais c’est un bateau de pêche. Plutôt petit. Une cabine minuscule qui pue et qui permet juste de stocker du matériel. Tu vas pouvoir le piloter ?
— Ça ne devrait pas poser de problème, du moment que le moteur démarre… Si la batterie est chargée, ça devrait bien se passer.
— Je n’en sais rien mais je me souviens qu’Eric l’a branché sur une borne du ponton, comme toi en Croatie.
Elle récupère des papiers dans une pochette qui doivent être les documents du bateau.
— Tiens, regarde. Il y a peut-être quelque chose d’utile pour toi là-dedans.
Effectivement, il y a tout ce dont j’ai besoin. Je ne connais pas le modèle indiqué, mais c’est un bateau de 7.40 m avec un diesel de 170 CV. Du classique.
— Et tu es sûre qu’il a son matériel à bord ?
Elle montre la pièce du bras.
— En tout cas, il n’est pas ici. Et il était très fier d’avoir son compresseur et tout ce qu’il fallait à bord. Il voulait pouvoir se débrouiller seul et ne faisait confiance à personne pour son matos.
Elle va dans la chambre et s’agenouille devant une cantine militaire en métal qui sert de coffre de rangement. A l’intérieur, il y a tout un capharnaüm d’objets qui sont manifestement des souvenirs de l’armée.
— Il était militaire avant de rejoindre la police ?
— 3ème RIMa… Tu sais, les Marines français. Il était dans la force d’interposition au Kosovo. Ah, voilà ce que je cherchais.
Elle sort un objet d’environ 25 cm de côté, enveloppé d’une toile huilée vert olive. A la voir le manipuler, je pense qu’il doit peser dans les 4-5 kilos. Elle l’enfourne dans sa besace.
— Allez. On s’arrache.
Quand on sort de l’immeuble, il est presque 21 heures et on décide d’aller manger un morceau. Laure m’emmène dans un petit restau chilien juste à côté. La terrasse est animée et l’ambiance est assez chaude. Les clients rient et parlent fort. Après 2 Pisco Sours chacun et une bouteille de vin pour accompagner un ceviche et une pluma de porc ibérique grillée, nous sommes bien en forme nous aussi. Surtout après les shots de mezcal que le serveur nous offre en fin de repas.
Laure a l’air soulagée et plutôt de bonne humeur. Même si le plus dur reste à faire, pour le moment les choses s’emmanchent bien. Je suis arrivé dans les temps et nous avons pu récupérer tout ce dont nous avions besoin chez Eric. Tout est prêt maintenant et il ne nous reste plus qu’à mettre le plan à exécution. Alors elle relâche un peu la pression. Elle rit de bon cœur à mes blagues et elle a les yeux qui brillent.
Lorsque nous regagnons la voiture, Laure glisse son bras dans le mien.
— Merci Fred. Vraiment. Je ne pourrais pas y arriver sans toi.
On hésite à boire un dernier verre sur la Plaine, mais c’est noir de monde. Alors Laure me propose de rentrer chez elle sans attendre, histoire de ne pas être trop fracassés demain matin.
Lorsqu’elle m’a demandé de venir à Marseille, elle m’a proposé de m’héberger et j’ai bien sûr accepté. Non seulement, ça me permet de faire quelques économies mais surtout ça me laisse espérer une conclusion heureuse. Un happy ending, dans tous les sens du terme. Ce n’est pas trop tôt, mais cette fois-ci, ça a l’air bien engagé.
En tout cas, elle a été très tactile pendant la soirée et m’a envoyé tous les signaux non verbaux pour me convaincre qu’il y a une chimie entre nous. Et vas-y que je me touche les cheveux, et vas-y que je m’humecte les lèvres, et vas-y que j’adopte inconsciemment les mêmes postures que toi…
Pendant le trajet en voiture, elle me dit qu’elle n’a plus rien à boire chez elle et s’arrête devant une épicerie de nuit pour acheter des bières et de la vodka. Tout ça me semble très prometteur.
Elle habite dans le Périer au-dessus d’un primeur de quartier, juste à côté de la rue Paradis, ce qui m’apparaît également de bon augure pour la suite… Les planètes semblent bien alignées ce soir.
Son immeuble doit dater des années 1930 et est un peu défraîchi. Comme chez Eric, il n’a pas d’ascenseur mais elle, elle habite au 6ème. Dans notre état, la montée est un peu folklorique mais me donne au moins l’occasion de reluquer son cul pendant toute l’ascension.
L’appartement est, lui aussi, assez petit. Décoré de façon un peu plus moderne mais sans beaucoup de conviction. On sent bien que Laure s’en fiche un peu et qu’elle a une approche plutôt utilitaire de son logement. Le gros du mobilier et de la déco doit sans doute venir d’Ikea.
Elle retire son blouson et le jette sur un petit fauteuil. Elle décroche son étui de sa ceinture et pose son flingue sur le bar de la cuisine.
J’émets un sifflement appréciateur, que j’espère ironique au 2ème degré, et je me lance dans une mauvaise imitation de Joe Cocker.
— Baby take off your coat. Real slow.
Pas sûr qu’elle ait la ref’. En tout cas, elle me sourit mais le striptease s’arrête là.
Elle me désigne le canapé puis va mettre les bières au frais. Le frigo est presque vide à l’exception des habituelles sauces et bouteilles entamées dans la porte et quelques boites en plastique qui doivent contenir des restes. Elle démoule des glaçons dans un bol, puis elle attrape 2 verres à shots.
— Désolée mais la vodka est à température ambiante, alors il faudra faire avec. Et je ne suis pas spécialiste des cocktails comme toi…
Elle nous sert un verre chacun et s’assied sur le tapis devant moi.
— Allez, cul sec ! Demain, nos ennuis seront finis.
J’aimerais être aussi confiant.
— Ou alors, nous serons morts…
Je vide mon shot. Elle nous ressert et attrape une boite en bois dans un tiroir de la table basse. Elle en sort un paquet de feuilles à rouler et un sachet d’herbe, puis se met à préparer un joint.
— Ah, elle est belle la police…
Entre tout ce qu’on a bu, les shots et la beuh, je me dis qu’il faut je ralentisse un peu si je veux garder des forces pour la suite. Et j’espère que Laure ne va pas se sentir mal. Tous les voyants sont au vert et je préférerais qu’elle soit en forme.
On revoit ensemble les étapes du plan tout en continuant à fumer et à boire. Je vérifie la topographie sur Google Maps. Le restaurant est au fond du port du Frioul, sur le quai d’honneur du côté de la capitainerie. Je mesure les distances à parcourir. Ça va un peu brûler dans les cuisses, mais ça devrait le faire.
Au moment où je me dis qu’il va falloir que je tente une approche avant qu’il ne soit trop tard, Laure se lève en soupirant.
— Pfou… Je suis crevée. Je vais aller me coucher. Debout 8 heures demain. Tu te débrouilles tout seul pour déplier le canapé ?