Mais lorsque je descends prendre mon petit-déjeuner le lendemain matin, l’attitude de la patronne de l’hôtel a changé.

Elle évite mon regard lorsque je regarde dans sa direction et ne s’attarde pas dans la salle du restaurant.

J’avale rapidement mon café et part à sa recherche. Elle n’est pas à la réception mais je l’entends dans le bureau juste derrière. Je m’approche.

– Madame Amestoy ? Je ne vous dérange pas ? Alors, avez-vous des nouvelles pour moi ?

Visiblement, elle me trouve un peu cavalier d’envahir son domaine sans y être invité.

– Non, désolée. Je n’ai rien pour vous. J’en ai parlé à mes amis hier soir, mais personne ne la connait. Vous savez, c’est un nom très commun dans la région.

J’insiste un peu.

– Et la photo, vous l’avez montrée ? Quelqu’un l’a reconnue ?

– Non, personne.

Elle attrape la photo qui se trouve sur son bureau et me la tend.

– D’ailleurs, je vous rends la photo.

J’attrape mon stylo dans la poche de ma veste et j’inscris mon numéro de portable au dos.

– Gardez la. J’en ai fait plusieurs copies. Et vous avez mon numéro pour m’appeler si jamais quelqu’un se souvient d’elle. C’est important pour moi.

Elle reprend la photo, un peu à contre-cœur semble-t-il. J’essaie de l’apitoyer.

– Vous ne savez pas à qui d’autre je pourrais m’adresser ? J’ai fait 1’000 kilomètres pour la retrouver. Ça mérite bien un petit effort…

Ma tentative de la prendre par les sentiments. échoue lamentablement. Elle se ferme brutalement.

– Non. Désolée, je ne vois pas. Mais vous savez… Il y a des gens qui ne veulent pas être retrouvés. Et dans le pays, on ne plaisante pas avec ça. On respecte la discrétion. On ne se mêle pas des affaires des autres. Surtout avec des étrangers.

Le changement de température est brutal et je comprends qu’elle a dû se faire taper sur les doigts hier soir.

Je pensais que tout ce folklore autonomiste basque était fini. Surtout côté français. J’ai de la peine à prendre ça au sérieux et je me sens un peu comme dans l’Enquête Corse. Il doit bien y avoir 20 ans qu’Iparretarrak a raccroché les gants. Mais visiblement, certaines habitudes ont la vie dure.

Je bats en retraite.

– Je comprends. En tout cas, merci d’avoir essayé. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps.

Je remonte dans ma chambre pour réfléchir à la suite. Je n’ai pas avancé d’un pouce. Je savais que ce voyage était hasardeux mais je suis tout de même déçu. Je suis tenté de repartir tout de suite mais je me dis que je n’ai pas fait tout ce trajet pour abandonner tout de suite. Je vais au moins faire des recherches de mon côté pendant la journée. On verra demain.

Je prépare une liste des endroits qu’elle pourrait fréquenter ou alors où on pourrait la connaître. Je commence par la mairie, qui se trouve juste en face de l’hôtel. Je tente ma chance au guichet de l’état-civil, mais lorsque la fonctionnaire comprend que je n’ai aucun lien de parenté, ni raison officielle de demander des renseignements, elle met vite fin à la conversation. Elle refuse de confirmer si Claire habite dans la commune et même si elle est vivante.

Cette discussion me donne l’idée d’aller vérifier au cimetière. C’est à moins d’un kilomètre mais ça monte sec et je suis essoufflé lorsque j’y arrive. Le cimetière de l’église n’est pas très grand et j’en ai vite fait le tour. Aucun nom ne correspond. Me voyant en train de scruter les noms sur les tombes, un homme s’approche de moi. Le curé sans doute. Je lui explique en deux mots mon histoire. Le nom ne lui dit rien. La photo non plus. Il m’indique un autre cimetière un peu plus loin, de l’autre côté de l’autoroute. Celui-ci est un peu plus grand. Il y a bien 3 Etcheverry sur la liste des tombes affichée à l’entrée, mais pas de Claire. Je suis soulagé, même si je sais qu’elle a pu être enterrée ailleurs ou se faire incinérer. Même si la nouvelle de sa mort mettrait fin à mes recherches et me permettrait de rentrer, ce n’est vraiment pas ce que j’espère.

Je redescends en direction du village et m’arrête à la poste. Comme à la mairie, le préposé au guichet est inflexible. Agaçant mais rassurant en fin de compte. Je n’ai pas plus de chance avec le facteur que j’accoste alors qu’il sort de sa fourgonnette. Mais même s’il pouvait me répondre, je vois que le nom ne lui évoque absolument rien. Je commence à me décourager.

Je m’arrête pour déjeuner à un petit restaurant juste au-dessus de la gare, qui donne sur la mer. Il fait beau et la vue est magnifique. A part un TER un peu défraichi qui passe au milieu du repas, l’endroit est très calme.

Je suis à court d’idées. Le site de la mairie liste toute une série d’associations, mais elles n’ont souvent même pas d’adresse, juste un email ou un téléphone de contact. La plupart doit avoir des réunions régulières et je pourrais y aller pour tenter ma chance. Mais les probabilités semblent minces et je ne me vois pas passer une semaine ici sans plus d’espoir de succès. La réaction de la patronne de l’hôtel m’a découragé car je me dis que cette loi du silence doit être généralisée.

En quittant le restaurant, je me rends compte que la bibliothèque municipale est juste à côté. Je n’ai pas grand-chose à perdre.

C’est minuscule. La bibliothécaire assise derrière le petit bureau en train de lire un roman policier me sourit. Elle ne doit pas avoir souvent de la visite. Je lui explique que je cherche une vieille amie, en ajoutant que je suis romancier pour aiguiser son intérêt. Ça a l’air de fonctionner, car elle s’anime et me pose des questions à ce sujet, avant d’avouer gênée n’avoir rien lu de moi. Je lui promets de lui envoyer un exemplaire dédicacé de chacun d’eux pour sa collection. Je commente le livre qu’elle est en train de lire et lui promets de ne pas lui révéler le nom de l’assassin si elle m’aide.

Elle rit et me dit qu’elle va faire tout son possible. Je lui donne le nom de Claire et je lui montre sa photo. Elle doit avoir la quarantaine et la différence d’âge reste raisonnable. Il est donc possible qu’elle la connaisse.

– Désolée. Je connais plusieurs Etcheverry, mais aucune Claire.

Elle examine attentivement le portrait de Claire.

– Et la photo ne me dit rien non plus. Vous êtes sûr qu’elle habite à Guéthary ?

Elle a l’air sincère mais je ne suis pas un expert du non-verbal. Mais je la sens désireuse de me satisfaire.

– En fait non. Mais je suis presque sûr juste qu’elle est venue vivre ici il y a 25 ans environ. Mais elle est peut-être repartie depuis…

Elle réfléchit un moment puis a une inspiration.

– Vous avez regardé dans les pages blanches, je suppose ?

– Oui, bien sûr, mais je n’ai rien trouvé.

– Hum… Elle se trouve peut-être dans un annuaire de l’époque. Même si elle est partie depuis, ça vous permettra au moins de vérifier qu’elle a bien séjourné un moment ici.

Je pourrais l’embrasser.

– Mais vous êtes géniale ! Quelle excellente idée ! Mais savez-vous où je pourrais trouver des bottins téléphoniques de ces années-là ?

Elle rougit de plaisir.

– Vous avez de la chance ! J’ai justement reçu une caisse de vieilleries il y a 3 semaines. Et à part quelques livres genre France Loisirs sans intérêt, il y avait une dizaine de vieux annuaires du département. Je ne savais pas trop quoi en faire alors je les ai gardés en attendant. Ils sont dans la réserve. Allons voir !

Elle m’emmène dans un réduit juste à côté de la bibliothèque. L’espace est rempli de caisses de bouquins poussiéreux. Et juste devant, un carton duquel elle tire un tas d’annuaires défraichis. J’attrape celui de l’année 2000. 2000, c’est bien. Ça lui aurait donné le temps d’arriver, de passer un moment chez ses parents peut-être, de trouver un boulot, puis de s’installer seule sous son nom. Je tourne fébrilement les pages et suit du doigt la colonne de noms. Etcheverry. Anne. Cécile. Laurent. Pas de Claire.

Mon enthousiasme retombe comme un soufflé, jusqu’à ce que la bibliothécaire pousse un cri de joie. Elle a dans les mains l’édition 1998. Elle me montre une page, en tapotant du doigt un point au milieu de la feuille.

Etcheverry Claire, 204 chemin d’Haispoure. Et un numéro de téléphone.

J’attrape mon portable et le compose fébrilement, sans trop réfléchir à ce que je vais dire. Mais un message m’informe que ce numéro n’est pas attribué.

Google Maps m’indique que c’est juste à côté. 260 mètres. Je remercie rapidement la bibliothécaire, qui est un peu surprise de me voir détaler si vite, et je pars. J’ai laissé passer tant de temps que je ne veux plus attendre.