Le voyage de retour se passe sans encombre. J’ai hâte d’arriver, alors je m’arrête juste pour faire le plein et manger un morceau sur une aire d’autoroute. La nuit commence à tomber quand j’arrive chez moi. La route était fatigante, avec un trafic dense et des camions la plupart du temps. Je suis crevé et je me couche sans prendre le temps de défaire mon bagage.

Le lendemain, je reprends le cours de ma vie. Je règle les problèmes qui sont restés en suspens pendant la semaine passée. Je réponds à mes mails. Lance une machine pour que la femme de ménage n’ait plus qu’à repasser mon linge. Vais faire quelques courses car le réfrigérateur est vide. Je lis les journaux qui se sont accumulés pour me tenir au courant des dernières nouvelles locales. Quel scandale a éclaté dans quel département. Quel projet immobilier agite les partis. Quel politicien fait l’objet d’une enquête pour sa gestion des affaires. Je n’ai rien manqué d’important.

Pendant les jours qui suivent, je ne fais rien de particulier, cherchant à mettre cet échec basque derrière moi. Je ne me sens pas l’énergie de repartir à l’attaque, alors je temporise. Après tout, personne ne m’attends et je n’ai de compte à rendre à personne.

Alors je lis un peu, je vais au cinéma, je m’achète quelques fringues, je m’occupe de la mise à l’eau de mon bateau. Je m’occupe de petits détails. J’achète toutes sortes de cordages, choisis de nouveaux pare-battage pour remplacer les anciens qui ont fait leur temps, réfléchis à un nouveau système de pendille pour me faciliter les manœuvres lorsque je sors en solitaire. Le temps est idéal pour bricoler sur le pont sans cuire au soleil.

Mais après 3 semaines de ce régime, la liste de noms m’attire à nouveau comme un aimant. Il faut dire qu’elle est bien en évidence sur mon bureau, avec les 2 premiers noms barrés et les 2 suivants qui m’interpellent. Si j’atteins mon but avec elles, ce projet ne sera pas totalement raté.

Elisabeth est la 3ème que j’ai inscrite sur mon inventaire. Une histoire bien plus banale que celles d’Audrey et de Claire. Mais pas plus glorieuse… En début de carrière à la banque. Avant que je n’écrive ce thriller financier qui m’a permis de quitter le monde de l’entreprise. Un vrai cliché, cette situation… La jeune assistante du département d’Analyse Financière qui débarque, tout juste diplômée et qui n’en revient pas de découvrir le monde de la finance de l’intérieur. L’argent qui coule, les millions qu’on investit, les publications de résultats et les statistiques des banques centrales que tout le monde attend en retenant son souffle et les marchés qui réagissent dans la seconde qui suit.

Et moi qui prend un peu le temps de lui expliquer les ficelles. Enfin pas toutes. Pas celles qu’elle aurait peut-être dû apprendre plus vite. Et pas sous forme de leçons payées au prix fort. Mais je lui commente ce qui se passe, traduit le jargon, lui conseille des lectures. Bref, je la prends sous mon aile. Du coup, elle m’est reconnaissante et sans doute un peu éblouie.

Il faut dire qu’à l’époque j’ai du succès. Je surfe sur la vague de la Nouvelle Economie. Dissertant sur le changement de paradigme qui renverse tous les critères d’évaluation conventionnels. Et j’explique sans vergogne à qui veut m’entendre que c’est normal de payer très cher une startup qui n’a encore engrangé aucun revenu et qui brûle son cash à grands coups de fêtes somptueuses dans la Silicon Valley ou de spots publicitaires décalés pendant le Super Bowl. Ceux qui renâclent sont taxés de dinosaures allergiques au changement, la pire critique qu’on peut faire à l’époque. Que ce soit la téléphonie sans fil, les startups de la Tech et les médias, tous les secteurs que je suis explosent. Je suis non seulement très bien payé, mais j’investis également pour mon propre compte et gagne beaucoup d’argent en bourse. A l’époque, les banques sont moins regardantes qu’aujourd’hui et ça leur évite de nous payer encore plus.

Alors on sort, on flambe, on boit du Cristal Roederer comme si c’est du mousseux et la coke nous permet de tenir le rythme effréné de la fin des années 1990. Il faut dire qu’on tourne entre la SIP, le Baroque et le Java et qu’aussi bien les journées que les nuits sont longues…

Elisabeth nous accompagne le plus souvent. Il faut dire qu’on l’invite et qu’elle n’a pas à débourser un sou. Elle s’éclate sur les pistes de danse dans des tenues qui laissent peu de place à l’imagination. Et elle a une façon bien à elle de danser, se donnant à fond dans l’Euro Dance music bien grasse du moment. Tous les mecs de la banque ont les yeux qui brillent et rêvent de se la faire. Et elle joue avec ses cheveux, se laisse accrocher par le bras, un peu frotter, mais rien de plus.

Elle est grande, mince, bien foutue, avec des seins comme on les a à 25 ans et les fesses hautes qui vont avec. Sans doute un peu naïve, elle aime plaire. Limite allumeuse, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit consciente de son attitude, ni de la frustration qu’elle laisse derrière elle.

Elle me rend fou et je ne pense plus qu’à la baiser. N’importe où, dans les toilettes du club si elle est d’accord. Dans la suite d’un 5 étoiles si c’est ce qui la convaincrait. Même dans la voiture s’il n’y a pas d’autre solution.

Je la ramène parfois chez elle. Histoire de m’assurer qu’elle rentre seule… Je veux bien attendre le moment propice, mais certainement pas passer après les autres.

Elle apprécie le luxe de ma Lotus Esprit et n’est pas pressée d’en sortir une fois que j’arrive en bas de son immeuble. Alors on parle un moment, sur un mode séduction light. Visiblement, elle aime être courtisée. Elle aime être désirée. Mais ne donne pas grand-chose en retour. Elle déjoue habilement toutes mes manœuvres, esquive mes mains baladeuses. Dit bon, il se fait tard. Je vais y aller. En une demi-douzaine de fois que je l’ai raccompagnée, j’ai juste eu droit à un rapide baiser sur les lèvres. Bouche bien fermée. Ne vous dérangez pas. Je suis une grande fille et elle ouvre sa portière. Elle sort et la referme sans se retourner, montant rapidement les 10 marches qui mène à sa porte d’entrée. Tape le code puis disparaît à l’intérieur.

Alors je n’ai plus qu’à rentrer chez moi, penaud et frustré. Et me branler rapidement en songeant à ce que j’aimerais lui faire.