Nous faisons l’amour une bonne partie de la nuit. Tranquillement. Sans frénésie, avec une passion contenue. Nous retrouvons des vieilles habitudes. En inventons de nouvelles. Pour une fois, je ne cherche pas la performance ni le rapport de force. Je sens en elle comme un abandon, qui n’est pas de la passivité mais peut-être la conviction que ces moments sont inespérés et qu’il lui faut profiter de chaque instant. Je comprends qu’elle pensait ne jamais me revoir et qu’elle craint que tout cela ne s’évanouisse rapidement.

Le lendemain matin, je pars louer une voiture pendant que Marjane profite que son appartement est vide à cette heure-ci pour y prendre quelques affaires. Nous avons décidé de partir quelques jours. Elle a réussi à décaler les réunions qui étaient prévues ou à les confier à l’un de ses collaborateurs.

Même s’il y a dans cette escapade un petit air d’Un homme et une femme, nous avons choisi Honfleur plutôt que Deauville. Le rush de juillet n’a pas encore commencé et je parviens à trouver une chambre dans un hôtel juste en face de l’Eglise Sainte Catherine.

Nous arrivons à l’heure du déjeuner. La nuit et l’excitation de l’aventure nous ont donné faim, alors nous partageons un énorme plateau de fruits de mer sur le Vieux Bassin. Il fait délicieusement bon, avec une brise marine qui tempère l’atmosphère. Tout nous semble limpide.

Je ne connais pas la ville et Marjane non plus, alors nous passons l’après-midi à flâner dans les ruelles près du port. Jouant le couple de touristes normal. Achetant des spécialités locales, comme si nous allions en rapporter à nos proches.

Les 3 jours qui suivent sont l’exemple parfait du week-end en amoureux idéalisé. Nous baisons beaucoup, mais avec une grande considération l’un pour l’autre, Nous faisons des repas pantagruéliques pour reprendre des forces. C’est la première fois que nous passons plusieurs jours ensemble, à partager chaque minute de la journée. Tout semble fluide et harmonieux, mais il est vrai que nous sommes dans un décor de cinéma qui ne correspond pas à la vraie vie.

Marjane doit tout de même gérer les quelques appels et messages de son mari. Elle essaie de s’éloigner lorsque cela arrive. Je ne sais pas exactement ce qu’elle lui dit, mais elle me laisse entendre qu’il s’inquiète mais ne fait pas trop le malin, ayant lui-même donné un coup de canif dans le contrat il y a quelques années.

Nous parlons aussi beaucoup. Ne serait-ce que pour nous remettre à niveau sur ce qui nous est arrivé depuis 20 ans. De mon côté, je lui explique pourquoi je l’ai trompée à l’époque et surtout pourquoi j’ai fait en sorte qu’elle l’apprenne. Je n’étais pas prêt à m’engager dans une relation sérieuse et je n’avais pas le courage de le lui dire. Alors, j’ai imaginé ce stratagème pour que ce soit elle qui me quitte. Je ne sais pas pourquoi, mais elle semble un peu soulagée d’apprendre que mon infidélité était une sorte de plan machiavélique.

Quant à elle, elle ne s’étend pas trop sur les raisons de son départ pour Paris et je sens que le sujet est encore sensible. Mais il n’y a guère de doute qu’elle a méchamment dégusté et qu’elle a été complètement détruite par ma trahison qu’elle n’avait pas imaginée. Je subodore un épisode de dépression qui a conduit ses parents à lui faire changer d’air.

Sans doute pour ne pas m’agacer ou susciter ma jalousie, elle ne m’en dit pas trop non plus sur son mari. Si ce n’est qu’il s’appelle Vincent. Ils se sont rencontrés dans une autre agence, dont il est l’associé sénior. Il est un peu plus âgé qu’elle. Lorsque leur histoire est devenue plus sérieuse, elle a quitté l’agence pour s’installer à son compte avec un ami. Ensemble, ils ont un fils, Thomas, qui a passé son bac l’année dernière et suit des études d’ingénieur à Nantes. Le nid est vide maintenant.

Elle me dit qu’elle a suivi ma carrière à distance et qu’elle a acheté tous mes livres. Il faudra que je les lui dédicace. Elle me parle d’interviews que j’ai oubliées. Elle a gardé toutes les critiques de mes bouquins. C’est vrai qu’elle est l’une des lectrices de mes débuts, lorsqu’elle est venue un peu par hasard à ma première séance de signatures.

Comme il y a 20 ans, elle est toujours aussi exaltée par notre relation. Avec cette vision quasi-religieuse du sexe, avec cette habitude de conserver des souvenirs matériels des différents moments que nous vivons, comme des fétiches destinés à la préserver du mauvais sort. L’addition du restaurant. Le ticket d’entrée du musée. Une fleur ramassée dans le Jardin du Tripot qu’elle a mise à sécher entre les pages d’un livre. Même l’étui de carton qui contient la clé de notre chambre.

Ça pourrait être ridicule, mais je trouve ça plutôt charmant. On dirait que je vieillis. Ou que je suis en train de tomber amoureux. En tout cas, je suis apaisé. Même si les choses n’ont pas du tout pris la tournure prévue, je suis ravi de la façon dont tout ça évolue.

Si on m’avait dit il y a quelques jours que j’allais envisager de me mettre en couple avec une femme de mon âge, j’aurais bien ri. Et pourtant.

Je sens bien que Marjane aimerait parler de la suite. Faire des projets. Prévoir notre retour à la vie normale. Elle doit aussi régler la situation avec Vincent. A travers des bribes d’une conversation qu’elle a avec lui, j’ai cru comprendre que leur appartement lui appartient. La connaissant, je suppose qu’elle estime que c’est à elle de partir. C’est elle la fautive après tout. Heureusement, avec son métier, elle a quantité de contacts qui peuvent l’aider à trouver un logement rapidement. Au petit-déjeuner, elle profite que je suis absorbé par la lecture des journaux sur mon téléphone pour planifier des visites et recevoir des descriptifs. Si je comprends bien, elle veut rester Rive Gauche mais s’éloigner un peu de ses parents et de son mari.

De mon côté, je suis également très occupé. Amaury, qui a le rôle ingrat de s’occuper de moi dans ma maison d’édition, me demande quelques aménagements urgents pour mon manuscrit qui doit sortir à la rentrée. Compte tenu des délais d’impression, je vais devoir faire vite.

Nous n’avons pas vraiment fixé de date de fin pour notre escapade, mais j’ai réservé la chambre pour 4 jours. Même si tout se passe pour le mieux entre nous, nous sommes tous deux conscients que cette parenthèse ne peut pas durer indéfiniment. Elle nous a permis de nous retrouver et de lui servir de sas de décompression, mais il faut passer à l’étape suivante.

En déjeunant dans un restaurant sur la plage, nous convenons qu’il est temps de rentrer. Nous avons tous deux des obligations professionnelles et elle doit trouver un logement. Grâce à une agence immobilière qui lui doit un service, elle a une opportunité unique à saisir à la Cité Fleurie mais elle doit se décider demain.

Nous allons donc repartir cet après-midi. Je rendrai la voiture et partirai directement pour Genève. Je la retrouverai à Paris dans quelques jours.

Nous n’avons pas vraiment abordé en détail la suite en ce qui nous concerne, même s’il semble clair que nous sommes désormais un couple et que nous voulons tous les deux continuer à nous voir.

Sous quelle forme, ce point reste en suspens. Comme nous habitons dans deux villes différentes, il faudra bien aborder la question un jour ou l’autre. Je sens que Marjane ne serait pas opposée à une cohabitation, mais je comprends sans qu’elle le dise qu’elle ne veut pas répéter les erreurs du passé. Elle préfère sans aucun doute que ce soit moi qui prenne l’initiative. Nous avons le temps pour décider. Rien ne presse à ce stade. On ne va pas appesantir cette espèce de lune de miel avec des sujets qui fâchent.